Mode et décoration peuvent-elles aller de pair ?
Une évidence au studio Beauregard où Aurélia Paoli, la directrice artistique, entend bien appliquer au domaine de la décoration d’intérieur les principes appris lors de sa formation de styliste à l’école Esmod puis lors de sa spécialisation en design textile à la Central Saint Martin’s School. Rencontre.
Je ne vous raconterai pas la sempiternelle histoire du débutant qui cherche une bonne idée et qui poussé par sa famille et ses amis finalise et commercialise une collection de mode enfantine conçue au départ pour ses enfants. Non. Parce qu’ici, l’histoire prend corps dans le domaine de la décoration et qu’Aurélia Paoli n’a rien d’une débutante !
- Un diviseur nécessaire à la fabrication du carreau de ciment
Tout commence avec des carreaux de ciment. En 2012, à la recherche de revêtement pour les sols de sa cuisine et de sa salle de bain, Aurélia, styliste et designer textile free-lance depuis plusieurs années appelle plusieurs fabriques au Maroc –le métier a disparu en France dans les années 1950– et réussit à convaincre un artisan de lui produire les seuls 20m2 de carreaux de ciment dont elle a besoin à partir des 3 motifs qu’elle a dessinés.
Aucun problème pour l’artisan. Il s’agit seulement pour Aurélia de prendre en charge en plus de la commande les diviseurs qui servent à la fabrication des carreaux de ciment et qui sont les éléments les plus chers du procédé. La gamme de coloris et de motifs plaît. L’édition de revêtement décoratif est lancée avec la première collection de carrelage 1.3 et Beauregard est créé.
Penser une collection de décoration d’intérieur
Dès le départ le studio de création Beauregard est pensé comme un studio global, une structure qui propose aussi bien le développement de produits ou la construction d’une identité de marque. Du visuel au motif –l’imprimé est un bon vecteur pour créer une marque, précise Aurélia– en passant par le packaging, la designer développe en parallèle l’édition de produits sous la marque Beauregard.
l’imprimé est un bon vecteur pour créer une marque
- Collection de papier peint
Aurélia n’apprécie guère les bibelots : « ou les objets ont une fonction, ou c’est du revêtement« . Les revêtements des sols et des murs lui paraissent justement être la seule décoration acceptable dans une maison. Alors elle commence à imaginer des décors comme des collections de mode à partir de son goût pour les années 30 et l’esthétisme de la période Art Déco.
La force du stylisme : l’identité déclinée en collection.
Elle imagine, avant même de les développer, des gammes cohérentes de produits. Une compétence acquise lors de son passage à Esmod où elle privilégiait la recherche textile, l’identité visuelle plus que le modélisme ou le stylisme : « l’amont plus que le style« , l’artisanat plus que les collections bisannuelles imposées. A Londres, à la St Martin’s School, elle se forme à la sérigraphie, développe un papier peint à l’échelle 1/1, travaille sur les raccords et découvre une vraie « ambiance d’atelier« . Elle est ensuite embauchée comme chef de produit pour des groupes textiles et assure différentes missions de direction artistique. Elle expérimente alors les contraintes de fabrication et les problématiques de marque pour « prévoir une collection qui va durer dans le temps« .
- Carreaux de ciment, vitrophanie, marbrés et Mini Lé.
Le goût de l’artisanat
Des motifs géométriques, des lignes graphiques dorées, argentées essaiment sur les murs. La nouvelle collection de papiers peints imprimés à la planche sur un papier très épais se dévoile. « L’artisanat permet la personnalisation d’un projet et au designer de s’exprimer » précise Aurélia qui savoure joyeusement les derniers produits reçus. Un mélange de savoir-faire entre une production à tirage limité et un embellissement fait à la main par Aurélia dans le studio/show-room du 11e arrondissement investi depuis peu.
L’artisanat permet la personnalisation d’un projet et au designer de s’exprimer.
Un lieu dans lequel peut enfin travailler sereinement l’équipe créative avec Bérénice au développement commercial et Juliette au design. Après deux années passées à la maison, entre le peu de vacances et la naissance de son deuxième enfant, une nouvelle page s’écrit enfin pour Aurélia. Le studio affiche ce mois ci un nouveau site, une nouvelle boutique en ligne sur laquelle sont présentées les collections décoratives prêtes à l’emploi : des vitrophanies, des Mini Lés, des marbrés à la forme hexagonale et des dominos de papiers imprimés à la planche. Et toujours la présentation des 9 motifs et 72 couleurs de carreaux de ciment qui ont fait la renommée de Beauregard.
- Collection de carreaux de ciment
Les carreaux de ciment
Le dernier atelier de production a fermé en France en 1950. Le studio se fait fort de reprendre l’histoire de ces carreaux colorés de pigments naturels, pressés puis séchés au soleil. De beaux chantiers sont en cours, ici dans une brasserie du faubourg Saint-Honoré, là dans un hôtel parisien. Des commandes pour des particuliers également qui concernent essentiellement les pièces d’eau.
Le carreau n°1 connaît a énormément de succès mais plus que le dessin, le calepinage fait la différence et donne l’identité à la pièce dans laquelle les carreaux sont posés. Entre les modèles, les couleurs et les 3 formats disponibles (hexagone-carré-rectangle), il existe 2000 possibilités de pose. « Tout se joue au calepinage » insiste Aurélia. Et là aussi, la créatrice emprunte à la mode les techniques de création de dessins qui vous sont proposés à la préparation de la commande. Un travail particulier d’aplats et de motifs qu’Aurélia maîtrise sur le bout des doigts. Habitués à travailler en volume et peu en surface, « il est même rare que les architectes aient ce sens du motif », note-t-elle.
Dans une démarche cohérente de travail artisanal, les carreaux ne sont pas immédiatement disponibles. Le studio n’a pas de stock . « Il faut attendre les carreaux », explique Aurélia. Les clients apprécient le travail manuel : le délai de fabrication est un prix à payer ! « Mais le consommateur évolue et l’accepte. Il y a 10 ans, cela n’aurait pas été possible. »
Le revêtement mural
Pour asseoir son développement pérenne de produits artisanaux, le studio a récemment lancé d’autres projets, toujours dans l’idée d’un « revêtement total entre murs et sols » : des papiers peints à la planche et des Mini-lé en intissé sont nés. La gamme est fabriquée en France malgré la « difficulté pour les artisans de se mettre aux normes ».
Le studio s’évertue à tisser des partenariats solides avec des fabricants fiables. « Il ne s’agit pas uniquement d’une transaction : test couleurs, développement. Tout cela prend du temps. Il faut que le fabricant croit à l’histoire, à notre histoire. »
- La gamme colorée des carreaux de ciment et les motifs des Mini Lé.
- Le papier peint à la planche est imprimé sur du papier canton épais puis customisé à l’atelier avec des feuilles d’or ou d’argent.
- Les marbrés sont des hexagones de papier à tremper dans l’eau et à coller –sans matériel.
- Les Mini-lés sont des rouleaux pré-encollés de 18 cm sur 5 mètres, livrés dans un coffret avec gants blancs et rouleau. On trempe le rouleau dans une bassine d’eau pendant 10mn. On maroufle directement au mur et l’on coupe au cutter. La pose s’effectue en 10mn. « Mais aux clients de s’approprier le motif pour personnaliser leurs murs », précise la designer.
Car comme pour une collection de mode, les propriétaires des maisons dans lesquelles sont posés les revêtements du studio Beauregard peuvent personnaliser, en fonction du modèle ou de la pose, les produits créés par Aurélia Paoli puis se les approprier comme on donne du style à un vêtement.
Une designer heureuse qui imagine à terme un appartement boutique pour que « l’acte d’achat soit un bon moment, presque inoubliable ». Un lieu où la créatrice pourrait développer son sens unique de l’art de vivre .
- Mini lé // Studio Beauregard
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- Photos : © B.Soligny