• Un article d’Isabelle Girard, professeur de français dans le secondaire.
    Passionnée de littérature, Isabelle est très attirée par le monde de l’édition. Elle a souhaité contribuer à Plumetis en partageant avec nous ses connaissances sur l’histoire de l’édition française. 

 

  •  Collection personnelle de livres du 16e, 17e et 18e siècle // Gnosos CC

 

 

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L’édition est aussi vieille que l’impression elle-même, mais l’éditeur est une figure plus récente, que l’on pourrait considérer concomitante de l’émergence de la presse.

Et si les principes fondamentaux de son métier restent les mêmes depuis les origines, la technique est tout de même venue quelque peu bouleverser les modalités d’un métier à part, particulièrement en France.

Les débuts du métier

Si la profession d’éditeur est apparue avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, le métier, tel qu’il existe aujourd’hui, a vu le jour au cours du 19e siècle, vers les années 1830.

Auparavant en effet, la fonction éditoriale était assurée par les imprimeurs ou les libraires eux-mêmes. Mais avec l’augmentation du nombre de lecteurs, de celui de documents imprimés – autres que des livres (presse, publicité, périodiques, prospectus…) –, et enfin, de celui des auteurs, la fonction éditoriale s’anime et devient une spécialité à part entière. On trouve d’ailleurs souvent des libraires à l’origine de maisons d’éditions, aujourd’hui prestigieuses, car ils sont mieux que quiconque à même de percevoir les manques en matière de production éditoriale et de les pallier.

 

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Louis_Hachette en 1854 C’est le cas de Louis Hachette qui, fort de son brevet de libraire-éditeur, lance sa librairie en 1826. Son intérêt pour l’instruction publique et son sens du marketing le pousseront toujours plus loin dans les innovations de l’époque. Ainsi, bien avant la promulgation de la loi Jules Ferry rendant l’instruction – et non la scolarisation – gratuite et obligatoire, Louis Hachette flaire les besoins devenus essentiels par le développement de l’enseignement. Il édite dictionnaires et manuels, fonde plusieurs recueils périodiques tels le Manuel général de l’instruction primaire et la Revue de l’instruction publique, donnant naissance à l’ancêtre de l’édition scolaire.

  • Louis Hachette en 1854 // Kos

Le métier assiste également à l’émergence des auteurs-éditeurs. Moins nombreux que leurs confrères libraires-éditeurs, on retrouve tout de même parmi eux un certain Pierre Larousse, auteur du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Mais la plupart des écrivains, s’ils se voient souvent confier une collection ou direction littéraire, restent rares dans les fonctions de responsabilités globales d’une maison d’édition.

 

La fonction éditoriale

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Dès son indépendance prise, l’éditeur a toujours eu le même rôle: définir sa ligne éditorial et aller à la rencontre des auteurs, et surtout de leurs textes, pour arrêter son choix, les mettre en forme puis les faire imprimer, pour, enfin, les commercialiser.

Bien que la dimension créative du métier d’éditeur ne semble pas évidente, elle n’en est pas moins réelle. En sélectionnant les écrivains, l’éditeur façonne ce qui deviendra son catalogue, son œuvre, tout à fait comme le polyptyque de l’artiste. Il prépare ce qui sera sa carte de visite. Car c’est en définissant sa ligne éditoriale qu’il se dirige vers la patte d’un auteur plutôt que celle d’un autre, et non l’inverse.

  • Salon du livre de Paris, 2012 – Belfond place des éditeurs (Editis) //  ActuaLitté CC-BY-SA 2.0

C’est encore l’éditeur qui supervise et oriente la conception, en choisissant de lancer un catalogue, par exemple. Il contrôle également les choix budgétaires, tout en déléguant leur gestion. C’est par le travail de l’éditeur qu’une maison se fait connaître et que des auteurs – dont la renommée doit autant à leur talent qu’aux maisons qui les ont accueillis – veulent y voir leurs ouvrages signés. C’est également par ses choix qu’il attire à lui des lecteurs avec lesquels il instaure une relation de confiance en les séduisant par sa sélection.

 

Salon du livre de Paris 2015 // ActuaLitté

  • Salon du Livre de Paris 2015 // ActuaLitté CC-BY-SA 2.0

 

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  • Pierre Larousse (1817-1875)

Depuis Louis Hachette, Pierre Larousse ou Gaston Gallimard, les choses n’ont finalement pas tellement changé. Le travail reste fondamentalement le même, si ce n’est l’époque qui a modifié la taille des entreprises et, cela va de soi, leur diversification. S’il reste des petites maisons d’édition, souvent spécialisées, indépendantes, la plupart appartiennent à des groupes leur permettant d’évoluer à un rythme plus régulier, leur donnant également la possibilité de faire des choix éditoriaux qu’elles n’auraient pas pu faire sans la mutualisation ainsi mise en place. Mais, aujourd’hui comme hier, l’éditeur travaille avant tout à la prospection de nouveaux auteurs, à chercher la plume, la forme, le fond, souvent le tout ensemble, qui s’accordera à son catalogue, qui lui donnera saveur et sens.

 

Les formats et la démocratisation de la lecture

Si le métier d’éditeur a peu évolué depuis le XIXe siècle, le monde ne s’est en revanche pas arrêté de tourner : les moyens de communication, la mondialisation, les technologies, et, découlant de ce tout, les attentes du public ont subi de profondes modifications. Il en faut, tout simplement, pour tous les goûts, tous les usages, tous les loisirs… Toutes les situations.

 

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Pour vivre et faire vivre, aussi bien l’entreprise que ses salariés, il a fallu, et il faudra encore que les maisons d’édition s’adaptent et ajustent leurs négociations sur le marché comme leurs propositions, notamment en matière de prix des ouvrages. Car si le prix des terminaux ne déclenche pas de polémique, il en va autrement pour celui des livres numériques.

 

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Antoine Gallimard, PDG du groupe d’édition dont le nom n’est plus à présenter dans le paysage éditorial français, s’attarde sur le sujet : « Le problème, aujourd’hui, c’est énormément de production, trop de livres qui se ressemblent. Et c’est Amazon… [car il] veut tout faire !  [… ] Amazon, acteur global, veut devenir éditeur. Si, demain, Amazon nous dit, la remise [de prix sur les livres numériques] doit monter à 50%, comme au Royaume-Uni, on sera amené à supprimer des pans entiers de notre politique éditoriale (poésie, sciences humaines). » (1)

  • L’éditeur français Antoine Gallimard, le jour de l’inauguration de la rue Gaston-Gallimard // LPLT CC-BY-SA 3.0

Il s’agit donc d’une politique commerciale, certes, mais la politique éditoriale entre largement en ligne de compte dans le choix de certaines maisons d’édition de baisser leurs tarifs sur les ouvrages numériques. Mais pas n’importe comment, ni au prix de catalogues entiers.

Par ailleurs, certains éditeurs sont très attachés à la préservation de l’écosystème actuel, qui protège à la fois les maisons, les auteurs et les revendeurs. Ainsi, à l’issue du bras de fer qui opposait aux Etats Unis Amazon à Hachette Livre, numéro trois mondial de l’édition (le géant américain voulant imposer ses prix de vente sur les e-books) et qui a duré de longs mois, Arnaud Nourry, PDG du groupe français, déclarait-il : « C’est nous qui fixerons les prix des e-books, ce qui protège nos revenus, ceux de nos auteurs, ainsi que la diversité des réseaux de revendeurs. » (2)

Et c’est là une bien bonne nouvelle d’apprendre que le monde de l’édition française a encore des prérogatives sur la qualité des contenus qu’il diffuse !

Sources

  1. Télérama livres, 22 mars 2014, “Face à Amazon, il faut du répondant
  2. Les Echos, 18 décembre 2014, « Hachette à la conquête du monde »

Merci Isabelle ^-^

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