William Morris n’est pas seulement le designer et l’éditeur de papiers peints figurant en bonne place dans les magazines déco et tableaux Pinterest de 2019. Cette grande figure, il est vrai, du mouvement Arts & Crafts est aussi un poète et penseur majeur du 19e siècle.
William Morris (1834-1896) entre à l’Exeter College d’Oxford en 1853 où il se lie d’amitié avec Edward Burne-Jones qui lui présente les écrivains et poètes du groupe du Set : William Fulford, Charles Faulkner, Canon Dixon et Cormell Price. Il étudie d’abord l’architecture avant de quitter en 1856, le cabinet de l’architecte néo-gothique George Edmund Street dans lequel il était employé et de prendre des cours de peinture sous l’influence de Dante Gabriel Rossetti, fondateur du groupe Pre-Raphaelite Brotherhood.
Membre de la seconde génération de ce mouvement artistique qui tient la peinture des maîtres italiens du 15e siècle comme le modèle à imiter, il crée, en 1861, avec Peter Paul Marshall et Charles Faulkner la firme Morris, Marshall, Faulkner & Co.
Cette fabrique à laquelle collaboreront en outre les artistes Ford Madox Brown, Edward Burne-Jones, Dante Gabriel Rossetti et Philip Webb, et qui deviendra Morris & Co, réalise des vitraux, des papiers peints et des textiles.
Leur maxime est de « ne rien avoir dans sa maison que vous ne croyiez pas utile ou pensiez beau » (Have nothing in your houses that you do not know to be useful or believe to be beautiful –MacCarthy). Il crée personnellement 46 papiers peints tout en continuant à écrire des poèmes pour lesquels il est reconnu.
Mais sa grande ambition est de valoriser le travail manuel pour « mettre fin à la pauvreté dans la surproduction en même temps qu’à toutes les dichotomies entre le pratique et le beau, l’utilitaire et le poétique, ce qui s’utilise et ce qui se conserve. » Militant anarchiste libertaire, il associe le luxe à une forme d’esclavage et milite pour une « égalité dans l’abondance » ( Kristin Ross).
Cette volonté de démocratiser l’art, échoue en même temps qu’il restructure, dès 1875, Morris & Co dont il a racheté toutes les parts, entreprise alors peu organisée et en difficultés financières malgré des commandes prestigieuses (South Kensington Museum ou le St James’s Palace). Il collabore avec les meilleurs artisans, teinturiers –il expérimente même des teintures naturelles–, lissiers, tapissiers et graveurs et développe un réseau de boutiques. Cette stratégie commerciale fonctionne mais il ne peut que constater l’échec de son utopie sociale, ses produits restant inaccessibles aux classes populaires.
Très engagé politiquement, il adhère à la Democratic Federation en 1883 puis fonde la Socialist League en 1884. « À l’âge de presque cinquante ans, à une époque où la firme prospérait et où la réputation littéraire de Morris était assurée, il s’agissait d’un acte de courage presque insensé. Il en parlait comme d’un retour au pays, d’une reconnaissance finale d’un destin inévitable. »
At the age of almost fifty, at a time when the Firm was prospering and Morris’s literary reputation was secure, it was an act of almost insane courage, and he wrote of it in terms of a homecoming, a final recognition of inevitable destiny. His ‘conversion’ (MacCarthy, 462), as he called it, came as an all-suffusing joy.
Le paradoxe est saisissant de ce propriétaire d’une entreprise prospère de décoration néanmoins leader d’un groupe socialiste qui souhaite une transformation de la société capitaliste. Il écrit énormément de textes politiques et fait l’oraison funèbre d’un militant tué lors d’une dispersion violente par la police d’une manifestation, le « Bloody Sunday » (13 novembre 1887). Il poursuit néanmoins son travail de designer et présente son travail, en 1888, à la première exposition de la Arts and Crafts Exhibition Society. Il en devient président en 1891, et est nommé maître de l’Art Workers’ Guild, un regroupement d’architectes, artisans d’art, peintres et sculpteurs.
En 1890, il écrit et publie News from Nowhere, or an Epoch of Rest, un roman d’utopie socialiste dans lequel le narrateur découvre la société de 2012, « communiste, égalitaire, caractérisée par le faible rôle de l’État. Le travail n’y est plus aliénant mais choisi et épanouissant pour les individus, et essentiellement artisanal […]. L’argent a disparu, le mariage également, et le parlement a cédé sa place à une démocratie plus directe. Les humains se montrent en outre davantage soucieux de vivre en harmonie avec la nature ».1
Il consacrera la fin de sa vie à sa maison d’édition, Kelmscott Press, fondée en 1891.
Les nombreuses contradictions de William Morris entre une utopie socialiste révolutionnaire qui se donne pour moyen la formation continue, l’éducation et le travail manuel, des ambitions artistiques élevées, son exigence constante, des productions uniques inspirées par le passé dans un style néo-gothique à l’opposé des goûts de la bourgeoisie victorienne qu’il exècre, et leur succès pourtant, sont évidentes. Mais puiser dans le passé pour en tirer une société du futur, allier l’esthétique moyenâgeuse « au progrès social et technologique [feraient] de l’homme un homme libre et non plus un esclave ».²
This is the host that bears the word,
No MASTER HIGH OR LOW —
A lightning flame, a shearing sword,
A storm to overthrow.³
En savoir +
- The William Morris Society
- William Morris Archive – Poésie et prose
- William Morris dans le Oxford Dictionnary
- Design Morris & Co // Style Library
- Fiona MacCarthy, William Morris: A Life for Our Time (English Edition)
- Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, La Fabrique, 2015
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelles_de_nulle_part
- William Morris ou le paradoxe incarné, http://larevuecycle.free.fr/images/morris/morrishh.htm
- William Morris, “No Master”, in Chants for Socialists, 1885, The University of Adelaide